Les informations de cette page proviennent des trois tomes du livre « Les Maîtres du Fil » de Yves Morel. Edité par Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, ces ouvrages retracent toutes les étapes de l’histoire du moulinage en Ardèche méridionale du XVIIème siècle à nos jours.
Pendant près de deux siècles, l’Ardèche a été le numéro 1 français pour le moulinage des fibres textiles, d’abord pour la torsion du fil de soie naturelle et par la suite pour la texturation des fils synthétiques.
La soie est produite par le vers à soie. C’est la chenille du bombyx mori qui fabrique un cocon pour se protéger au moment de se métamorphoser en papillon. Pour cela, elle sécrète un fil de soie d’une longueur moyenne de 1 200 mètres.
La première étape pour obtenir de la soie consiste donc à élever (éduquer) des vers à soie dans des magnaneries, et accessoirement à cultiver les mûriers qui constituent leur alimentation.
La filature c’est la seconde seconde étape pour obtenir de la soie. Cela consiste à défaire (dévider) le cocon comme on le ferait avec une pelote de laine, après l’avoir trempé dans de l’eau chaude pour rammolir le grés, la substance qui collait l’ensemble.
Le fil de soie obtenu est très long mais aussi très fragile. C’est pourquoi on dévidait plusieurs cocons en même temps (entre 4 et 12) et en séchant le grès recollait les brins entre eux.
Au début, la filature était réalisé par les sériciculteurs avant que des usines spécialisées soient construites au XIXème siècle.
Le fil de grège obtenue à la sortie de la filature est de couleur écrue mais il n’est pas possible de le teindre à cause du grès qui maintient les brins entre eux.
La troisième étape pour obtenir de la soie va donc consister à enlever cette colle puis à refixer les brins ensemble en tordant le fil sur lui-même. La machine conçue pour tordre le fil étant un moulin, on parle donc de moulinages, mais aussi de moulineries ou encore de fabriques à soie pour désigner les usines où s’exerçait cette activité.
En plus de permettre la teinture, le moulinage améliore la qualité du fil obtenu : il est plus résistant, plus régulier et cela lui donne plus de souplesse. C’est d’ailleurs le fait que le moulinage apporte les mêmes avantages avec la soie synthétique qui explique que cette activité ait pu perdurer au XXème siècle.
A l’issue de ces différentes étapes, le fil de soie ardéchois était alors prêt à partir vers la région lyonnaise pour y être exloité : teinture, ourdissage, tissage, confection, etc…
L’équipement en moulinage de la commune de Saint-Privat a été l’un des plus précoces de la région, puisque les constructions se situent essentiellement dans les années 1820.
La quasi-totalité des usines étaient alimentées par le canal dit des arrosants dont la création fut autorisée en 1629. Cette béalière, prévue initialement pour les seuls besoins de l’agriculture, ne nécessitait pas de pente importante, puisque seul suffisait un transfert de l’eau.
Les possibilités d’installer des chutes nécessaires aux moulins étaient donc des plus réduites. La course aux décimètres pour améliorer le diamètre des roues motrices fut donc l’obsession des mouliniers, impliquant peu à peu la maîtrise totale du système hydraulique aux dépens de l’arrosage.
Parmi les nombreux intervenants impliqués dans l’activité moulinière de Saint-Privat, il ressort quatre dynasties qui ont vraiment laissées leur empreinte dans l’histoire du moulinage saint-privadois.
A côté de ces familles les plus emblématiques, il convient malgré tout de rappeler les noms d’autres acteurs importants, tels que François Cassagne, Jacques-Philippe- Alexandre Gravier, Pierre Mazellier…
Louis-Vincent Bouchard, fils de Pierre Bouchard et Marie-Rose Mestre, épousa le 24 mais 1826 Olympe Dumas, fille d’un avocat de Saint-Privat. Vincent Bouchard reçoit de son oncle, à cette occasion, 20 000 francs, sous la forme d’une rente à 5%, remboursables en huit ans.
Il commença ses activités de moulinier par la construction d’une fabrique au quartier du Poisson, à la fin des années 1820. En 1831, le 18 octobre, il prend en location la fabrique de son voisin Béraud, pour dix ans. Ensuite, après avoir vendu sa fabrique à Pierre Mazellier, il racheta les ateliers du Gabelus à Mamarot (18 mars 1845). Grâce à ses revenus, il acheta, avec Pierre Mazellier, la très belle demeure appelée « Le Bosquet » à Saint-Didier sous Aubenas.
Ses deux fils prirent sa succession, avec des fortunes diverses. L’un d’eux, Casimir, ajouta le courtage à ses activités de moulinier. L’autre, Charles, connut, en 1874, une retentissante faillite. Ses biens furent mis en vente et rapportèrent seulement 35 000 francs (25 000 pour les fabriques du Gabelus). Charles Bouchard se retrouva employé chez un marchand de soie de Saint-Etienne.
Famille dont le destin fut passablement calamiteux. Etienne Dumas, né en 1768, propriétaire d’un moulin sur le canal de Saint-Privat, fit construire dans les années 1820 deux fabriques quartier du Charnivet. Criblé de dettes, il se retrouva en prison et dû vendre tour à tour ses deux fabriques.
Son fils Camille (1814-1876) géra plusieurs fabriques, notamment celle de Xavier Chanaleilles à Pont-de-Labeaume, puis à Saint-Privat. Il fit faillite à son tour, ses biens furent saisis à la demande du docteur Tailhand, d’Aubenas (acte sous seing privé du 10 septembre 1872), et il s’exila en Uruguay. C’est d’ailleurs sur le bateau faisant la liaison entre Bordeau et Montevideo qu’il décéda.
Simple homonyme, Jean-Pierre-Hilaire-Lablache Dumas, originaire de Saint-Etienne de Fontbellon, loua la fabrique de Vincent Béraud à Saint-Privat, en 1823, pour quatre années.
Le berceau de la famille se situe à Aubenas, où Etienne Tourette était installé comme propriétaire. Ses fils se lancèrent dans l’ouvraison des soies au début du XIXème siècle. Etienne (né en 1796), associé à son frère Eugène, fonda la fabrique du Buis à Saint-Privat. Henri, né en 1809, par son mariage avec Cécile Bouchard, devint responsable d’une partie du patrimoine industriel construit par la famille Bouchard à Tartary (Pont-d’Aubenas).
Eugène (1799-1855) épousa Emilie Charre, fille d’un notaire de Meysse. Il en eut plusieurs enfants, à leur tour impliqués dans le moulinage. L’ainé, Emile (1839-1906), hérita du Buis. Léonie épousa Josué Chabert, de Chomérac. Henri-Joseph (1842-1878), resté célibataire, hérita des fabriques du Charnivet achetées sur adjudiation en 1860 par sa mère.
Quant à Paul (1846-1903) il finit par reprendre les fabriques du Charnivet. De son mariage avec Léonie Artige, Paul eut Louis qui ajouta à ses propriétés du Charnivet la fabrique du Buis, vendue par un de ses cousins, puis la quasi-totalité des autres fabriques de Saint-Privat.
Henri Vincent naquit Lentillères en 1829. Ses parents sont Jacques Vincent, cultivateur, et Marie Pilis. Il se fixa à Aubenas où il se lança dans le commerce des soies. Il opta ensuite pour le moulinage, sans doute l’époque où les profits commerciaux diminuèrent du fait de la raréfaction de la matière première. Bien d’autres ont ainsi reconverti leurs activités.
Dans un premier temps Henri Vincent afferma des fabriques (celle de Souche à Montpezat, celles de Jules Bouchard ou Mathieu Verny à Pont-d’Aubenas). Il finit par acheter les deux fabriques du Gabelus à Saint-Privat, vers 1875. C’est à Saint-Privat qu’il décéda le 9 décembre 1882. Sa veuve Marie-André et sa fille affermèrent alors les fabriques, puis les vendirent à la société La Soie en 1910.